Seule éleveuse de chèvres angoras dans le Finistère, Vanessa André mène, à Saint-Rivoal, un troupeau d’une soixantaine d’animaux bio. Sa ferme, baptisée Cabri Ô Laine, est le point de départ d’une confection textile très prisée. Autrefois réservée aux sultans, la laine mohair continue à séduire en raison de sa douceur, de sa chaleur et de sa solidité.
Lové dans un paysage vallonné, humide et brumeux en cette fi n d’hiver, le hameau de Kergombou, dans les Monts d’Arrée, s’anime du joyeux retour à l’étable des chèvres de Vanessa André. Après avoir côtoyé les producteurs fermiers de l’association Bro an Are de Saint-Rivoal en tant qu’animatrice, la jeune femme ressent le besoin de vivre le métier de paysan de l’intérieur. En 2002, son dévolu se porte sur la race angora, relativement peu courante en Bretagne – on n’y recense qu’une dizaine de troupeaux – comparée au Sud de la France dont le climat chaud est plus propice à leur bien-être. 7 ans plus tard, la ferme Cabri Ô Laine, qui accueille également un troupeau de vaches armoricaines, s’étend sur une trentaine d’hectares, composés, pour l’essentiel, de prairies et de friches, bois, landes. Vanessa André gère une soixantaine d’animaux, caractérisés par une robe aux longues mèches blanches, soyeuses et lustrées. Le troupeau comporte 20 mâles dont elle recueille la laine, bien qu’elle soit moins fi ne, parce que, vu leur corpulence, ceux-ci produisent 2 à 3 kg de plus par an que leurs compagnes (soit 3 à 5 kg par chèvre). Le troupeau donne environ 150 kg de laine chaque année. “Avec une chèvre, on pourrait tricoter 5 pulls, indique Vanessa qui précise que la qualité de la laine dépend de l’âge de l’animal. Disons que les jeunes chèvres font de la laine à chaussettes tandis que les plus vieilles fi nissent en tapis”. Mais, même en fi n de carrière, aucune ne connaît l’abattoir. Vers 5-6 ans, les chèvres de réforme partent en “maison de retraite” chez des particuliers qui les accueillent avec plaisir tandis que les mâles, moins chanceux, ne découvrent des jardins… que le barbecue.
Une tonte sur mesure
Nourries à l’herbe et au foin produits sur la ferme, les chèvres sont complémentées en orge et en féverole en fi n de gestation, au moment de la lactation ainsi qu’avant la tonte qui a lieu en février et en août. Les tondre en plein hiver peut sembler surprenant. “C’est au contraire très pratique au moment des naissances car les petits trouvent plus facilement les tétines. De plus, les ateliers de confection de la Sica Mohair (lire en encadré) ont besoin de 3 mois pour transformer la production en pulls, écharpes, plaids, etc. Soit une livraison en tout début d’été”, justifi e l’agricultrice. Pour cette étape délicate qu’est la tonte, Vanessa fait venir d’Ancenis, en Loire-Atlantique, un tondeur professionnel. “Il faut 5 fois plus de temps pour tondre une chèvre qu’un mouton, soit 10 minutes par animal. Comme elle est plus anguleuse, moins dodue, il est nécessaire de s’y prendre avec habileté, douceur afi n de ne pas la blesser”, souligne- t-elle. La dextérité du tondeur est remarquable ; en dehors du ventre, il parvient à tondre intégralement la chèvre d’une traite, obtenant un morceau unique de laine !
Une fine gueule
“La chèvre est très diffi cile sur le plan alimentaire, elle laisse facilement 30 % du foin dans l’auge. Sinon, en général, elle est de nature tranquille mais son entêtement l’amène parfois à fuguer”. Ce qui stresse l’éleveuse, fort embarrassée de savoir l’une d’entre elles dans les marais ou tourbières environnants. “Ici, c’est la pampa, indique-t-elle. C’est très compliqué de retrouver un animal d’autant qu’il y a peu d’habitations et donc de passages.” De nature fragile, cette race caprine souffre du climat humide breton. De plus, la sélection animale dont elle est issue a toujours privilégié le critère laineux – la productivité – au détriment de la rusticité. C’est pourquoi elle demande une attention toute particulière et un engagement constant pour conserver bonne santé et production de qualité. Le parasitisme est aussi une vraie plaie. “Par nature, les chèvres sont des cueilleuses ; la tête en l’air, elles broutent les feuilles des arbustes. Or, en les faisant pâturer, nous accroissons le risque de parasitisme”, reconnaît l’éleveuse qui a déjà perdu quelques chevreaux à cause du ténia, communément appelé vers solitaire. Bien que la législation européenne bio ne limite plus le nombre de vermifuges classiques, Vanessa, comme beaucoup d’éleveurs bio français, évite le plus possible d’y recourir, préférant des remèdes alternatifs et le pâturage tournant. Les chèvres sont aussi sensibles aux parasites externes, comme les poux qui les fatiguent et tendent à feutrer la laine par grattage. Pour soulager ses animaux, l’éleveuse leur pulvérise sur le corps un mélange de pyrèthre et d’huile essentielle de géranium.
Une affaire de femmes
L’état de santé des animaux influe directement sur la qualité de la laine. Or, le mohair ne doit pas faillir à sa réputation de douceur, de chaleur et de solidité. Un engagement qualité autour duquel se rejoint la centaine d’éleveurs, dont 2 à 3 sont certifi és bio, qui compose l’association interprofessionnelle du Mohair français. Ou plutôt d’éleveuses. Car, fait assez rare lors d’une assemblée générale agricole, la grande majorité des professionnels sont des femmes. Ne sont-elles pas les mieux placées pour vanter l’extrême confort de ces gilets élégamment tricotés, de ces étoles légères comme des mousselines ou encore de ces chaussettes épaisses inusables ? Depuis sa roulotte installée sur la ferme, ou sur les marchés et foires bio du département, Vanessa expose un éventail coloré de gants, écharpes, petits châles, pulls, plaids… Sa pratique d’une agriculture respectueuse des sols et des animaux n’apparaît pas explicitement puisqu’il n’est pas possible d’apposer le label AB sur des textiles. De plus, le traitement collectif de la laine (lire en encadré) empêche une traçabilité à l’échelle de la ferme. Mais le réseau entend bien améliorer encore la renommée de ses confections, avec, comme ambition, l’obtention du précieux label Oeko Tex Standard 100 (1) qui garantit un textile écologique.
Gaëlle Poyade
(1) Oeko Tex Standard 100 est un label
de portée mondiale qui limite très fortement
l’emploi de matières néfastes à
l’environnement et l’homme lors de la
fabrication de textiles.