La bio se répand comme une traînée de poudre. Dans les champs, on recense une dizaine de conversions par jour tandis que les produits bio se multiplient dans tous les points de vente. Aujourd’hui, près de 31 000 opérateurs français sont engagés en bio et certifiés. À l’heure où la sécurité alimentaire est sur toutes les lèvres, comment ses acteurs sont-ils contrôlés et quelles garanties offre la filière bio ?
Tous les producteurs bio français, qu’ils soient éleveurs, maraîchers, viticulteurs, céréaliers, doivent respecter le cahier des charges européen de l’agriculture biologique symbolisé par l’Eurofeuille (1). En France, 7 organismes certificateurs (Ecocert, Qualité France, Certis, Certipaq, Agrocert, SGS-ICS, Certisud) sont en charge de sa bonne application, et des milliers de contrôles sont effectués chaque année par environ 200 contrôleurs. Volontaire, l’agriculteur doit prouver, dès son engagement en bio, qu’il met tout en œuvre pour être conforme à la réglementation. Il met ainsi à disposition documents comptables, cahier d’élevage, informations sur son environnement, comme par exemple la présence d’un incinérateur, d’un risque OGM, d’une eau d’arrosage susceptible d’être polluée par des pesticides ou PCB. Un contrôle physique a lieu chaque année sur l’exploitation, assorti d’un second contrôle inopiné sur la moitié des opérateurs, sélectionnée par échantillonnage.
Mixité et risques de mélanges
La conversion ne s’improvise pas. Elle nécessite au préalable de faire évoluer ses pratiques : souvent, l’arrêt du désherbage chimique est une première étape avant de se lancer. Certains convertissent d’emblée l’ensemble de leur activité, passant au 100 % bio. D’autres procèdent par étapes, et conservent certaines cultures en conventionnel. Dans ce cas, on parle de ferme mixte. Talon d’Achille, cette mixité est surveillée de très près.
Certaines précautions doivent être mises en place. Le contrôleur doit pouvoir distinguer à l’œil nu les productions bio des autres. Ainsi, l’agriculteur ne peut pas cultiver à la fois du blé bio et du blé conventionnel. En fruits ou en raisins, si les variétés ne sont pas évidentes à reconnaître, le producteur doit s’engager à passer au 100 % bio dans les cinq ans.
Chez les transformateurs, – comme dans les abattoirs –, la mixité se gère dans l’espace et/ou sur le planning. Les ingrédients bio sont stockés séparément, par exemple sur une palette ou une étagère dédiée. Une ligne peut être réservée à la confection de pâtes ou de confitures bio ; une journée par semaine, souvent le lundi, peut y être consacrée. Les lignes sont au préalable désinfectées avec des détergents écologiques.
Chez les artisans, la mixité se gère au quotidien et nécessite une rigueur sans faille. Ainsi, Dominique Saibron, boulanger engagé en bio depuis 1988, propose, dans le 14e arrondissement de Paris, nombre de pains classiques et d’autres aux fruits ou aux céréales labellisés bio. “Pour la farine bio – 8 tonnes par mois sur les 20 achetées –, j’ai un fournisseur différent, les Moulins Decollogne. La mixité ne me pose pas problème, je prends soin de stocker la farine bio dans un endroit bien délimité et bien identifié. Je garde aussi les emballages d’origine des fruits secs ou graines. Les contrôles sont souvent poussés, et l’auditeur peut nous visiter à l’improviste une à deux fois par an.” (2)
Proximité champs bio et conventionnels
Et dans les champs, comment se garantir des contaminations ? Le cahier des charges bio n’impose pas de limite minimum entre une parcelle bio et une autre cultivée en conventionnel. Mais il parle d’ “unités séparées” et enjoint les agriculteurs bio à prendre toutes les dispositions nécessaires pour éviter les risques. En pratique, une route, une bordure ou un fossé entre deux parcelles font souvent office de barrière naturelle, tout comme une haie que le producteur bio décide de planter sur ses terres, réduisant un peu sa surface cultivée. Laisser en herbe une bande de 2 mètres sert aussi de zone tampon. Parfois, échanger entre voisins les parcelles élargit la surface bio et réduit les risques. “De bonnes relations de voisinage limitent souvent la plupart des problèmes, explique Olivier de Marcillac, responsable certification chez Agrocert. Dans le Saint-Émilion, des producteurs vont jusqu’à proposer à leurs voisins conventionnels de traiter eux-mêmes les deux rangs du bord avec des produits bio pour éviter tout risque de contamination. D’autres laissent sur pied leurs raisins sur ces rangs de bordure”.
Contamination par les OGM ?
Et les OGM, qui totalisaient dans le monde, en 2008, cinq fois plus d’hectares que les terres bio, sont-ils une réelle menace en France ? La bio les interdit explicitement, mais n’est pas à l’abri de contaminations. Rappelons que dans l’Union européenne, deux plantes génétiquement modifiées (PGM) sont autorisées à la culture (pomme de terre Amflora de BASF ; maïs Mons 810 de Monsanto) mais la France, comme d’autres États membres, les refuse sur son territoire, par sa clause de sauvegarde. Aucune culture commerciale de PGM n’est donc autorisée. Et pourtant, les OGM sont dans la chaîne alimentaire, surtout via la nourriture des animaux. Sachant qu’une quarantaine de PGM (surtout du maïs, du colza et du soja) est introduite librement, comment éviter les contaminations ? Une question que la filière bio est loin de négliger. “Les cas de contaminations les plus fréquents sont dans le secteur de l’alimentation du bétail, notamment avec des matières premières en provenance des États-Unis, du Brésil ou de la Chine où les OGM se propagent”, explique Ecocert dans un document de communication. “En cas de détection en bio, jusqu’à hauteur de 0,9 % et si la contamination est fortuite et techniquement inévitable, le produit peut être commercialisé en bio. Contamination fortuite et inévitable signifie que le producteur et le transformateur ont pris toutes les mesures de précaution et de séparation. Dans la plupart des cas rencontrés, la contamination est due aux insuffisances des mesures de séparation. Aussi la production est-elle déclassée dans pratiquement tous les cas, et cela concerne une détection entre 0,1 et 0,9 %”.
Y a-t-il des fraudes ?
Les organismes certificateurs s’accordent à affirmer que les fraudes touchent moins d’1 % des opérateurs visités. “Sachant que le déclassement des produits ou le retrait du certificat est très lourd sur le plan commercial, personne n’a intérêt à frauder, analyse Thierry Cretinon, référent technique au sein de l’organisme de certification SGS. L’usage par les opérateurs de produits interdits en bio se fait souvent plus par négligence”. “On ne peut pas vraiment parler de fraude, renchérit Philippe Nourrit, responsable du marché Agriculture biologique à Qualité France (Bureau Veritas). Le plus souvent, il s’agit de non-conformité. Soit certains documents manquent, comme une facture d’engrais, soit l’agriculteur utilise un produit de traitement certes autorisé en agriculture biologique mais sur une production et non sur une autre, ou bien n’est pas homologué en France”. L’agriculteur peut aussi être épinglé pour ne pas avoir utilisé des semences ou plants bio. La réglementation lui permet d’utiliser des semences ou plants non traités, mais uniquement en cas de non-disponibilité en bio. S’il ne se tient pas à jour des nouvelles disponibilités en bio listées par la profession, il risque d’être en non-conformité, encourant avertissements, puis sanctions.
Un système fiable
Pour sécuriser au maximum la filière, la bio est soumise à l’obligation de notifier les irrégularités au ministère de l’Agriculture, qui les transmet au Scof (Commission permanente de l’agriculture biologique). Ces irrégularités, comme par exemple des résidus de pesticides sur des céréales, y sont enregistrées pour être diffusées à tous les États membres de l’Union européenne, qui en avertissent leurs organismes de certification (OC). “Cette procédure, qui doit être effectuée dans un délai d’un mois, renforce la fiabilité du système, en obligeant les OC à mieux communiquer leurs informations”, précise Jean-François Hulot, chef de l’unité Agriculture biologique à la Commission européenne. Ces précieuses informations sont enregistrées dans une base de données, qui doit être élargie aux Pays Tiers. “Nous suivons ainsi de près les dossiers à risques ou les États membres susceptibles de faire de l’obstruction d’informations, pour les mettre en demeure d’appliquer cette démarche”, complète-t-il. Pour aller plus loin, il vient d’être décidé de rendre public, notamment via internet, dans tous les pays de l’Union européenne, la liste, mise à jour, des opérateurs soumis au système de contrôle, ainsi que leurs certificats. Cette obligation entre en vigueur au 1er janvier 2013.
Un contrôle payant
Dans l’Union européenne, la certification bio est individuelle et payante, ce qui explique une partie du surcoût du bio. À titre d’exemple, un maraîcher sur 2 hectares paiera environ 400 euros par an, un éleveur-céréalier sur 50 hectares entre 550 et 700 euros. Dans certaines régions, les collectivités prennent en charge la totalité ou une part de la facture des producteurs, et plus rarement des transformateurs. Or, plus la gamme est variée, plus le contrôle est cher. C’est la raison pour laquelle certains boulangers rechignent, hélas, à faire certifier leurs pains bio. En Rhône-Alpes, la région finance 70 % des frais de certification des préparateurs la première année. Parfois, les entreprises elles-mêmes donnent un coup de pouce à leurs fournisseurs, comme les Moulins Bourgeois, situés à Verdelot, en Seine-et-Marne qui prennent en charge, la 1re année, la moitié du coût de certification de leurs clients boulangers.
Quant aux analyses de contaminants, elles arrivent en dernier recours : comme les contrôles se basent sur une grille de risques, le comité de certification cible au plus juste sa décision d’analyses, en fonction d’un doute avéré, d’une forte suspicion, d’une série de manquements graves, d’une alerte. Ces analyses sont au frais de l’opérateur, sachant que la détection multi-résidus, soit la recherche de 80 molécules chimiques, coûte entre 150 et 205 euros par lot. La bio n’hésite pas à payer cher pour être fiable.
Gaëlle Poyade
(1) Au 1er juillet 2012, ce logo sera obligatoire. La marque AB, encore renommée, peut y rester accolée (RE 834/2007, RE 889/2008).
(2) Deux contrôles par an sont obligatoires chez les transformateurs.
Les contrôleurs contrôlés
Comment être assuré que les organismes certificateurs (OC) soient impartiaux ? En France, les sept OC accrédités élaborent un plan de contrôle qu’ils doivent faire valider. Tous sont audités par le Comité français d’accréditation (Cofrac) et par l’Institut national de la qualité et de l’origine (Inao). Le Cofrac est lui-même validé au niveau européen suivant des normes précises. Tous les organismes certificateurs en Europe – au nombre de 190 – sont sous la coupe d’une institution semblable. “Le système n’a jamais été aussi bien sécurisé”, affirme Jean-François Hulot, chef de l’unité Agriculture biologique à la Commission européenne. Ils doivent être accrédités selon la norme européenne EN 45 011 ou le guide Iso 65 qui garantit compétence, indépendance, impartialité et confidentialité. Ils sont soumis à plusieurs obligations : prouver qu’ils possèdent l’expertise, l’équipement, les infrastructures nécessaires pour exécuter leur travail, disposer d’un personnel dûment qualifié et expérimenté en nombre suffisant et ne pas faire l’objet de conflit d’intérêt.
Christophe Lebrun, auditeur en agroalimentaire bio
En quoi consiste votre tâche ?
Pour Qualité France, je vérifie le respect de différents référentiels chez des transformateurs, à la fois bio et conventionnels, en Bretagne et Pays-de-la-Loire. Je commence par l’hygiène des locaux et du personnel, la maîtrise de la traçabilité, le respect de la démarche HACCP (1). Le contrôle bio n’intervient que dans un deuxième temps. Avec le responsable qualité ou son équipe, je fais le point sur l’évolution de la gamme de produits transformés, vérifie la conformité des recettes au règlement européen, la présence de certificats bio, la cohérence de la comptabilité matière avant d’aller faire un tour dans l’usine. D’où un gros travail d’in
vestigation sur les factures.
Combien de temps durent les contrôles ?
Une demi-journée minimum est nécessaire voire la journée entière pour les plus gros opérateurs. Tous les transformateurs sont audités deux fois par an, sur rendez-vous uniquement, car, pour des questions d’organisation et de disponibilité des personnes, il est difficile, voire impossible, de faire des contrôles inopinés.
Quelle est la méthode de travail ?
Lorsque je rédige mon rapport, je me sers d’une liste de non-conformités types : écart mineur, majeur et critique. Par exemple, l’absence de notification auprès de l’Agence Bio vaut un écart mineur tandis que l’absence de garantie bio ou le non-respect des recettes, par exemple si du poireau conventionnel est utilisé à la place de poireau bio, sont qualifiés d’écarts majeurs voire critiques. Charge ensuite au comité de certification au siège d’établir les suites à donner qui peuvent aller de l’audit renforcé jusqu’au retrait de licence.
Propos recueillis par J-M.P.
(1) Hazard Analysis Critical Control Point : méthode de travail qui identifie, évalue et maîtrise les dangers significatifs au regard de la sécurité des aliments comme la présence de verre, pesticides, virus, bactéries…