À la ville comme à la campagne, les projets se multiplient pour inventer un nouveau mode d’habitat groupé, basé sur la solidarité. Un excellent moyen de réduire la consommation d’espaces tout en profitant de logements attractifs.
Disparition de la mixité sociale, étalement urbain, hausse des prix de l’immobilier, accès au logement de plus en plus diffi cile… Dans la plupart des grandes agglomérations, le constat est le même. Les trajets pour se rendre au travail s’allongent au détriment des relations de voisinage. Dans ce contexte, des habitants se mobilisent afi n de mutualiser leurs espaces et parfois leurs équipements sous une nouvelle forme d’habitat collectif. On parle généralement d’habitat groupé participatif, de cohabitat, d’autopromotion ou encore de coopérative d’habitants. Apparu au cours des années 1970, ce mode de vie et d’habitat suscite à nouveau l’intérêt des habitants des grandes villes. La résidence Salvatierra achevée au printemps 2001, à Rennes, sort des sentiers battus en innovant tant sur le plan architectural que sur la concertation entre habitants. L’objectif est à la fois de maîtriser les coûts de construction, de vivre ensemble de manière impliquée dans un souci de respect de la personne humaine, tout en réduisant l’impact environnemental du logement. Basé sur un nouveau rapport à la propriété, ce type d’expérience s’appuie avant tout sur la solidarité.
Coopératives d’habitants
L’autopromotion ou “l’autogestion” consiste à regrouper quelques familles pour construire un groupe de maisons ou un immeuble. Cette démarche s’inspire des Baugruppen allemands ou des démarches d’habitat groupé initiées en Belgique. Une charte, rédigée entre les diff érents membres du groupe, défi nit les objectifs techniques et sociaux. L’association Éco Habitat Groupé, basée à Paris, soutient
depuis 1977 ce genre d’initiatives. Une douzaine de projets ont été conduits jusque dans les années 1980. Dans la plupart des cas, les habitants sont toujours en place. Mais le renouvellement des familles favorise également le mélange des générations. “Après une tendance à l’essouffl ement, le mouvement a connu un regain d’intérêt dès le début des années 2000”, remarquent ses fondateurs. “Malheureusement, nous constatons beaucoup d’échecs et de temps perdu dans les projets d’habitat groupé actuel. Notre objectif est de les soutenir et de leur apporter notre expérience.” Aujourd’hui, deux types de statuts sont possibles pour l’habitat participatif. Soit les futurs habitants se regroupent en copropriété, soit ils créent une Société civile immobilière (SCI) à caractère coopératif dans laquelle ils sont associés. Dans ce cas de fi gure, chaque ménage est à la fois locataire de son logement et propriétaire de parts dans la coopérative. Cependant, ce type de statut ne garantit pas la nonspéculation sur les biens immobiliers. De plus, les banques et collectivités locales peuvent être réticentes devant ce type de projet peu habituel. L’association Habicoop, créée en novembre 2005 à Lyon, vise à aider au montage juridique et fi nancier des coopératives d’habitants. Un premier partenariat expérimental a été mis en place entre Habicoop et un groupement d’habitants. Sur cet exemple, d’autres initiatives vont pouvoir être engagées. “Actuellement, la propriété individuelle est dans l’air du temps. Mais l’habitat coopératif se présente de plus en plus comme une troisième voie entre la propriété individuelle et la location. De nombreux amendements et propositions de loi ont déjà été déposés à l’Assemblée nationale sans toutefois aboutir”, remarque Emmanuel Vivien, coordinateur de l’association Habicoop. “Le rétablissement des coopératives de logement, telles qu’elles existaient jusqu’en 1971, permettrait d’off rir de meilleures garanties aux banques et collectivités locales et de sécuriser la transmission des biens.”
Espaces mutualisés
Mettre en commun des espaces de vie est un des principaux atouts de l’habitat groupé. Cela concerne les jardins, ateliers, garages, une salle de réunions ou parfois une chambre d’amis. Les parties communes peuvent être utilisées individuellement par les habitants, pour se retrouver entre eux, ou avec d’autres habitants de la ville. Elles sont parfois mises à la disposition d’associations. Les décisions concernant ces parties communes sont souvent prises sur le principe 1 personne = 1 voix. Au Lavoir du Buisson Saint-Louis, éco-habitat groupé initié à Paris à la fi n des années 1970, la salle commune a ainsi servi de garderie pour les nombreux enfants en bas âge, puis de salle de gymnastique, de réunion, de fêtes, d’expositions ou de répétition de théâtre. Un écoimmeuble peut aussi intégrer une mixité des fonctions. Les espaces de travail et les commerces de proximité contribuent à réduire les déplacements. Dans certains cas, la coopérative sert à mutualiser certains services. Dans le quartier Bedzed de Londres, les habitants ont instauré un service de livraison de produits frais de la région. La diversité des logements et des services facilite la mixité des catégories sociales et des générations. “Contrairement à l’image bobo souvent véhiculée autour de l’habitat coopératif, la mixité sociale s’eff ectue naturellement, sans qu’il y ait besoin de défi nir des quotas”, répond Emmanuel Vivien. “La rédaction d’une charte, entre tous les coopérateurs, défi nit les valeurs de la coopérative. Mutualiser certains espaces permet aussi de proposer des logements à des tarifs inférieurs à ceux du marché.”
Écologique, économique et social
La qualité environnementale des bâtiments est une autre caractéristique importante de l’habitat participatif. Le but est de réduire l’impact sur l’environnement extérieur et améliorer le confort intérieur. Énergies renouvelables, efficacité énergétique et matériaux naturels sont donc au rendez-vous. Et l’innovation peut être présente à chaque opération. Dans le domaine des déchets, par exemple, le compostage collectif est favorisé. Ainsi, à la Maison Radieuse du Corbusier de Rezé, en Loire-Atlantique, chaque samedi en fin de matinée, un habitant assure une permanence. Son travail consiste à ouvrir le composteur, recevoir les déchets et les mélanger avec une couche de broyats pour éviter les mauvaises odeurs. Le compost sert ensuite aux jardins familiaux, sur le site, et à l’entretien du parc. D’autres animations peuvent aussi être imaginées autour du jardinage bio, des toilettes sèches ou de l’équilibre alimentaire. La voiture est envisagée de manière différente. À l’échelle d’un quartier, les infrastructures de transport en commun et les déplacements doux peuvent être planifiés dès le début du projet pour faciliter l’accès aux services et différents lieux d’activités. Les véhicules écologiques sont favorisés. Dans le quartier Bedzed de Londres, les voitures électriques bénéficient de places de stationnement gratuites et peuvent être rechargées grâce aux panneaux photovoltaïques. À Lyon, le service Autolib s’est engagé à mettre en place une station d’autopartage à proximité du Village Vertical, un projet d’écoimmeuble porté par une coopérative d’habitants. Dans le quartier de Björkhagen, à Stockholm, l’accès aux voitures n’est toléré que pour décharger des objets encombrants. Une aire de stationnement a été aménagée à l’entrée et l’imperméabilisation du sol est quasiment nulle. La plupart de ces expériences sont menées à l’échelle d’un quartier. Les porteurs de projet d’habitat groupé peuvent s’en inspirer. La connexion aux différents réseaux de transport ou d’énergie reste l’un des principaux impératifs d’intégration du logement à la ville.
Philippe Guibert
Pour en savoir plus : www.ecohabitatgroupe.fr www.habicoop.fr www.village-vertical.org