Partir du support “jardin” pour apprendre à bien s’alimenter, pour explorer la biodiversité, la biologie du sol… C’est ce que font de nombreuses écoles, qui profitent aussi de ces projets pour s’ouvrir sur l’extérieur, parfois jusqu’aux fermes bio voisines.
“Le jardin est un support pédagogique qui offre de multiples possibilités, explique Yann Delahaie, animateur réseau à l’Ariena (Association régionale pour l’initiation à l’environnement et à la nature en Alsace). De très nombreuses approches sont possibles : de la création d’un jardin d’aromatiques, pour travailler sur le lien à l’alimentation, à une activité de compostage, pour étudier le lien à la terre, ou encore la réalisation d’un jardin d’insectes, pour explorer la biodiversité.” L’Ariena anime et coordonne le dispositif “Protéger l’environnement j’adhère”, qui permet à une classe de bénéficier du concours d’un animateur spécialisé sur une quinzaine d’heures dans l’année, pour des projets d’éducation à l’environnement : environ 70 % des projets soutenus sont basés sur le jardin (1). “L’animateur apporte ses compétences naturalistes et techniques, mais pas seulement : il propose aussi des approches pédagogiques différentes, basées sur l’expérimental, sur le sensoriel, sur le contact avec le terrain”, poursuit Yann Delahaie.
Jean-Yves Aubry, agriculteur bio à la retraite, fondateur de l’association Fermes Pédagogiques 72, et toujours actif bénévole, renchérit : “Les enseignants ont repéré que certains enfants en difficulté scolaire s’épanouissent vraiment dans ce type d’activité car l’approche est différente, c’est du travail manuel… Ils sont valorisés auprès des copains, tout le monde découvre qu’ils ont des connaissances et qu’ils peuvent les transmettre. Cela leur permet de ne pas être sans cesse en échec. Ça rétablit les équilibres.” Avec les autres membres de l’association, tous agriculteurs proposant une activité pédagogique à la ferme, Jean-Yves Aubry joue les “assistants techniques” auprès des enseignants qui veulent monter un tel projet dans leurs écoles. S’il a l’impression que “leurs demandes sont de plus nombreuses”, il reste à trouver un lopin à cultiver. Pas toujours facile en ville ! “J’accompagne actuellement un projet, dans le centre-ville du Mans. Trois écoles se sont regroupées et la municipalité va mettre à disposition un terrain où vont intervenir 7 classes. Le projet sera mené en lien avec les habitants du quartier, les parents…”
Alimenter le compost
À Saint-Urbain, dans le Finistère, le jardin participe pleinement au projet d’école des 8 classes (200 élèves environ) ; il ne se limite pas au cours de sciences naturelles. “L’objectif premier, raconte M. Gourmelon, le directeur de l’école, c’est de former un enfant citoyen à jardiner bio, à bien s’alimenter.” Démarré en 2011, grâce au partenariat avec une association de la commune, Café Jardins (2), il est en activité à chaque récréation : les enfants y vont par petits groupes, sur la base du volontariat, désherber, semer, planter, récolter…, accompagnés à chaque fois par une enseignante de maternelle, Adeline Poulmard. Le projet intègre un apprentissage de la gestion des déchets à la cantine : chaque élève est invité à trier, en fin de repas, sur son plateau, ce qui pourra alimenter le bac à compost du jardin ! Quant aux parents d’élèves, “ils peuvent venir jardiner eux aussi” et prendre le relais pendant les vacances…
Car la difficulté la plus importante, pour Yann Delahaie, de l’Ariena, “c’est vraiment de pérenniser le jardin au-delà d’une année scolaire.” Comment faire en été, qui va arroser les plants de tomates, qui va arracher l’herbe ? “Parfois, des échanges sont instaurés avec les parents, ou bien en ville avec les voisins, des personnes retraitées qui aiment s’occuper des fleurs, des légumes”, poursuit l’animateur. À Saint-Urbain, un partenariat a été mis en place avec la mairie : les agents communaux viennent les mercredis après-midi et pendant les vacances, pour retourner le compost, entretenir les plantations. “Une fois qu’il est lancé, on ne peut pas abandonner le jardin comme ça, assure le directeur de l’école de Saint-Urbain. D’autant plus que chaque classe vient d’y planter un arbre !”
Des carrés à la bonne hauteur
Pérenniser le jardin, c’est aussi bien le démarrer. “Il y a quelques échecs, rappelle Jean-Yves Aubry. Nous-mêmes, au départ, nous ne savions pas trop comment nous y prendre. Je me souviens que la première fois que nous sommes intervenus dans une école, nous avons labouré 20 m2 de terrain, et ça n’a pas marché du tout ; les enfants sont revenus en classe avec de la boue plein les chaussures, la fois d’après les semis avaient été piétinés par la classe suivante…” Avec ses collègues, il sait maintenant quelle est la configuration adéquate pour un jardin pédagogique : des carrés de terre bien délimités, à la bonne hauteur, autour desquels il est facile de circuler. Quant aux dates de semis et plantations, là aussi un minimum de connaissances s’impose : “Pour nous, l’objectif, c’est vraiment que les enfants mangent ce qu’ils ont cultivé. Mais si les tomates plantées sont mûres en août, les enfants vont passer à côté ! Il faut donc une certaine technicité.” D’où l’intérêt du contact avec le monde agricole…
Lien avec les agriculteurs
Alenka Mas, animatrice au Civam bio 66, une association qui regroupe les agriculteurs bio du département, travaille sur l’accompagnement de projets jardin dans 23 classes de l’agglomération de Perpignan, avec l’association Jardins écoles de Slow food. Au programme, des visites de fermes bio ! Le Civam a formé un réseau d’agriculteurs bio à l’accueil éducatif. Un va-et-vient s’opère ainsi entre le jardin à l’école et les fermes où des légumes bio poussent… Légumes que les enfants mangent, parfois, à la cantine : “Toutes ces actions ont pour nous un lien direct avec l’introduction de repas bio dans les cantines, indique Alenka Mas. Nous voulons que la bio soit mieux comprise par les enfants… et donc par les parents ! Ainsi, aujourd’hui, les administrateurs du Civam bio choisissent de mettre l’accent sur ces actions éducatives, chez les scolaires. Mais le mot “bio” est-il utilisé dans les jardins pédagogiques ? “Dans tous les cas, il s’agit d’espaces naturels, sans aucun intrant, bien entendu, analyse Yann Delahaie. On observe tout ce qui se passe au jardin”… Même les limaces qui viendront se régaler de quelques feuilles de salades… Au Civam bio 66, souligne Alenka Mas, “nous savons que de nombreuses écoles ont un petit jardin, et nous voulons justement leur proposer d’aller plus loin, en les sensibilisant à la bio et ses méthodes bien particulières.”
Myriam Goulette
(1) Chaque année, environ 140 projets sont soutenus en Alsace dans le cadre de ce dispositif.
(2) Café Jardins est une association qui a pour objet d’échanger sur les pratiques du jardinage bio.
Et dans les collèges ?
Le dispositif proposé par l’Ariena, “Protéger l’environnement j’adhère”, s’adresse aussi bien au primaire qu’au secondaire, ainsi qu’aux établissements agricoles. Mais la très grande majorité des projets sont menés en primaire. “En collèges et lycées, les programmes sont trop serrés, confie Yann Delahaie. Au collège, il existait, il y a quelques années, les “itinéraires découvertes” qui permettaient de mener des projets jardin, en transversalité sur plusieurs matières. Depuis que cette formule a disparu, la baisse du nombre de jardins dans le secondaire est nette !” Aujourd’hui, ce genre d’initiative peut être mené dans le cadre de clubs environnement, ou bien dans celui du volet culturel de l’accompagnement éducatif. “Mais il faut vraiment que l’enseignant soit motivé. Il faut sortir des sentiers battus, repenser la structuration de ses cours, savoir partir du projet pour revenir au programme… Rien de simple !”
((Dos_jardin école_3_fotolia)) Pour les plus jeunes, un jardin d’aromatiques peut permettre de partir à la découverte du jardin en mettent les cinq sens en action.