Protégé depuis 1925, le Roquefort répond à des normes de production exigeantes. En bio, il participe encore davantage au respect de l’environnement et défend les petits producteurs de lait de brebis. L’entreprise Papillon a mis son savoir-faire fromager ancestral au service de ce mode de production.
Le Roquefort, à base de lait de brebis, entier et cru, existe depuis au moins 1 000 ans dans le sud-Aveyron. La Confédération de Roquefort, une interprofession réunissant éleveurs et transformateurs en détient l’Appellation d’Origine Contrôlée, la première AOC créée en France en 1925. Parmi ses transformateurs et affineurs traditionnels, la maison Papillon s’est lancée dans la fabrication bio dès 1976, grâce à une douzaine d’agriculteurs certifiés bio. Ceux-ci fournissent 650 000 litres de lait, durant six mois de l’année, pendant lesquels sont traites les brebis, pour produire 150 tonnes de Papillon bio. Un tonnage encore confidentiel, mais qui pourrait s’accroître s’il y avait davantage de lait bio.
Une appellation célèbre
Fromage des rois de France depuis Charlemagne, célèbre dans le monde entier, le Roquefort se façonne dans des galeries à fleur du plateau désertique, le Causse du Larzac. Le cœur de l’AOC se situe à Roquefort – sur-Soulzon. Ce village pittoresque qui surplombe une vallée sauvage, se fond dans les contreforts de la roche qui l’abrite. Sous ses pieds, large de 300 mètres et courant sur deux kilomètres le long des falaises, les galeries souterraines sont entretenues par des courants d’air réguliers : les fleurines. La légende dit que, grâce à ce souffle magique, le fromage se parsème de Pénicillium roqueforti, une moisissure qui lui confère son caractère si trempé. Les fées fleurines émoustillent le caillé de bleu pour l’affiner et le persiller.
Plus bio que bio
Pour produire le lait servant à façonner le Roquefort bio, les agriculteurs doivent respecter des règles encore plus strictes que celles du cahier des charges bio européen. Ce, sur un point essentiel : l’ensilage, méthode de conservation des fourrages par fermentation sous une bâche, est interdit. Les brebis n’ont droit qu’à l’herbe pâturée, au foin et aux grains. Autre contrainte de taille, qui s’applique, cette fois, à tous les éleveurs de brebis du rayon de Roquefort : 80 % de l’alimentation du troupeau doit être cultivée sur la ferme. Cette obligation garantit un approvisionnement le plus local possible, bénéficiant ainsi d’un bilan écologique très favorable. En outre, conformément à la démarche bio, l’absence d’engrais et de pesticides chimiques sur les cultures de céréales et sur les prairies rend le lait bio exempt de tout résidu toxique. Tout comme la limitation des traitements antiparasitaires sur les bêtes ou l’interdiction de l’utilisation d’hormones pour synchroniser les chaleurs. L’usage des antibiotiques est également proscrit – sauf besoin exceptionnel –. Même si en Roquefort conventionnel, le lait des brebis traitées est écarté, l’usage de ces médicaments implique forcément des rejets préjudiciables dans la nature.
L’AOC Roquefort regroupe de grosses exploitations très productives, qui sont pieds et poings liés aux pratiques intensives, contraintes à maintenir des rendements élevés pour faire face aux impératifs économiques. Ces élevages sont, pour la plupart, situés dans les zones géographiques plus “riches”, avec des terres plus profondes.
Les producteurs bio, notamment ceux qui livrent Papillon, travaillent différemment, sur des exploitations plus petites, moins mécanisées et souvent situées dans des zones plus difficiles. Ils bénéficient d’un prix du lait payé 36 % plus cher, ce qui leur permet de continuer à appliquer des pratiques plus douces. Leurs brebis sont moins “poussées”, et donnent entre 180 à 250 litres de lait par an, contre 250 à 300 l en conventionnel.
Jean-Claude Delon est un de ces agriculteurs exemplaires, issus d’une lignée de paysans forgés dans le terroir de Roquefort et qui, après avoir tâté du productivisme, est passé en bio dès la première heure en 1992. Sur les contreforts du Causse du Lévezou, dans ce terroir escarpé et magnifique que vantent les publicités de Roquefort, il lui était difficile de suivre la course à la productivité. “Grâce la rémunération supérieure du lait bio, des exploitations telles que la mienne peuvent continuer à exister”, se réjouit l’aveyronnais. Les brebis de Jean-Claude pâturent des bois en pente, entretiennent des espaces dans lesquels il ne serait plus possible de se balader. Dans ces villages à fleur de Causse, la vitalité de ces fermes est primordiale pour le maintien du tissu social et la vie locale. “La bio, qui remet en cause le système de production conventionnel, m’offre la possibilité de vivre en harmonie avec mes idées”, confie le producteur. “Pourtant, avec mes 170 brebis à la traite, et mes 32 000 litres de lait par an, au sein du système Roquefort conventionnel, je suis le dernier des Mohicans !”, ajoute-t-il en riant.
Attention fromage prioritaire
Le lait des brebis bio suit le même processus de transformation que son homologue conventionnel, à ceci près : il est prioritaire à toutes les étapes, pour ne pas risquer d’être mélangé à du lait non bio, et les ingrédients ajoutés, la présure, les ferments lactiques et le pénicillium Roqueforti sont bio. Collectées chaque jour chez les producteurs, les deux traites du matin et du soir sont acheminées dans des camions spéciaux jusqu’à l’atelier de transformation, lui-même quotidiennement lavé et aseptisé. Après les contrôles sanitaires et bactériologiques, le lait est légèrement chauffé (une trentaine de degrés environ), ensemencé de présure, caillé, découpé, brassé et égoutté une première fois. Puis il est moulé, retourné trois à cinq fois par jour et salé avec du sel marin au bout de cinq jours. Ce process dure une dizaine de jours pendant lesquels le fromage est régulièrement ensemencé de Pénicillium roqueforti bio, la souche qui crée le bleu du fromage. Papillon produit lui-même ce champignon microscopique, tous les ans, au mois de septembre, à partir de pain de seigle bio fabriqué sur place. Ce pénicillium bio est utilisé pour tous les fromages de l’entreprise.
Les “pains” de Roquefort resteront entre 15 jours et trois semaines, en caves d’affinage, jusqu’à ce que le développement du pénicillium soit jugé optimal. Ensuite, le fromage achève sa maturation dans des chambres à basse température, enveloppé dans des feuilles d’étain. Au bout de trois mois, il peut être emballé pour être vendu à la coupe ou au détail en libre-service. Son prix se situe autour de 24 euros du kilo, contre 22 euros le kilo pour son petit frère conventionnel. Quand on sait que le lait est payé 36 % plus cher aux producteurs, qui contribuent à l’entretien du paysage et des villages du sud-Aveyron, il n’y a pas à hésiter…
Marie Massenet
Pour les passionnés : les caves de Roquefort Papillon reçoivent chaque année 100 000 visiteurs gratuitement. www.roquefort-papillon.com
Jean-Claude Delon se qualifie de “dernier des Mohicans”, il n’est pas le dernier des techniciens ! La valorisation de tels espaces, et le maintien d’un revenu dans un objectif de désintensification, même avec un prix du lait plus élevé, implique en effet des compétences poussées. Cela passe par l’amélioration de ses sols. Son système repose aussi sur des économies d’échelle, la rationalisation des investissements en mécanisation, une meilleure observation des champs et de ses animaux. En bio, la prévention est une des clés majeures. L’éleveur bichonne son troupeau, améliore le fonctionnement de sa bergerie : son aération, la qualité du paillage, la réduction des courants d’air, le confort des déplacements, la position des animaux pour se nourrir et s’abreuver, la réduction du stress en salle de traite,…
Pour limiter les parasites, il pratique un pâturage tournant, réfléchit à ses rotations, évite le surpâturage, observe l’état de l’herbe, de la luzerne, des bois… Le cahier des charges bio de Papillon incite aussi les agriculteurs à adhérer à un groupe vétérinaire mutualiste. Un peu comme en médecine traditionnelle chinoise, les patients sont suivis régulièrement, quel que soit leur état de santé, et les médecins ont leur part de responsabilité en cas de problème.