Dès son ouverture à Strasbourg en septembre 2011, Raphaël Miquel a affiché une carte bio de l’entrée au dessert. Le 100 % bio, c’est, selon lui, une question de philosophie : « Soit on y croit et, dans ce cas, tous les achats sont bio, soit on profite d’un effet marketing et on se contente de saupoudrer du bio dans ses plats sans s’engager vraiment ».
Cohérence et transparence sont primordiales chez celui qui déplore l’amalgame entre les niveaux d’engagement possibles permis par la réglementation bio française en restauration commerciale. « Comment peut-on comparer un restaurant qui n’a de bio que sa gamme de thés et ses jus de fruits avec un établissement qui cuisine tout de A à Z et dont l’approvisionnement est 100 % bio jusqu’aux épices ? ».
100 % bio, c’est possible !
« Je veux témoigner qu’un restaurant rigoureusement bio, c’est possible », affirme celui qui régale près de trente convives chaque jour. Dans le même temps, des difficultés persistent. Des denrées, bien qu’elles existent, sont très rares en bio. « Certaines pièces de découpe de viande sont compliquées à se procurer, rapporte Raphaël. L’onglet de bœuf est soit hors de prix, soit introuvable en raison de la faible taille du cheptel bio français. Et il n’y aura toujours qu’un seul onglet par bête ! »
Où fait-il ses courses ?
Pour une question de logistique, Raphaël s’achalande auprès de deux plates-formes de revente, le grossiste bio La Cigogne, situé à Weyersheim, et l’Allemand Rinklin Naturkost. Chez le premier, il commande la quasi-totalité de ses produits frais tandis que le second lui livre l’épicerie. « Je suis également en relation directe avec quelques maraîchers qui me procurent certaines variétés anciennes de tomates, de courges, des fleurs comestibles… autant de produits rares chez les gros distributeurs ».
Entre gastronomie alsacienne et innovation culinaire
« Surprenante, parfumée, créative », c’est ainsi que sa clientèle qualifie sa cuisine. Et on la comprend. Chez L’essentiel, on se voit servir crus des légumes comme le potimarron, l’asperge, la courgette… « Du butternut râpé, c’est marrant ! », s’exclament les clients.
L’originalité et la mise en émoi du légume n’ont pas de limite. Quoi de plus étonnant qu’une glace poivron-piment en entrée ? La carte des glaces en main, Raphaël défend le fait-maison à tous crins : sorbet banane-safran, sorbet raisin blanc et marc de Pinot ou bien encore crème glacée au pain d’épices.
S’il ne se réclame pas de la pure tradition alsacienne – « la majorité des plats régionaux ne correspond pas à mon idée de l’équilibre alimentaire » –, Raphaël se réjouit de proposer un panel savoureux de tartes flambées. « J’ai repris à mon compte la recette car je fais moi-même la pâte avec de la farine de blé ancien, et la crème, avec du fromage blanc, des épices et du blanc d’œuf, ce qui la rend plus digeste. J’associe des lardons fumés maison – je propose aussi une version au tofu −, et du Munster, la fameuse tomme d’Alsace au lait cru en provenance de la ferme Durr ». Pour ne pas rester sur sa faim au moment du dessert, la tarte flambée se décline en version sucrée, par exemple à la rhubarbe.
Quels substituts au lait animal ?
Le sorbet au chocolat noir intense ne contient ni œuf ni produits laitiers. De fait, sensibilisé, le restaurateur utilise peu les produits laitiers qui posent « de nombreux problèmes de santé : arthrose, mauvaise digestion, maladies ORL… ». Dans une soupe, pour remplacer la crème fraîche, on peut tout simplement… « ne rien ajouter ! », s’amuse Raphaël qui a à cœur de faire savourer le goût authentique des légumes, la courge en cet automne. Sinon, il recourt à la boisson de riz, d’avoine ou d’amande, cette dernière étant l’une des plus assimilables pour l’homme.
Des prix dans les clous
Comment tenir une carte 100 % bio au prix du marché ? Réponse en plusieurs temps. « En mettant en valeur une offre végétarienne, je limite le surcoût, explique-t-il. Et je fournis plus de travail en préparant tout maison afin d’assumer la différence de marge ; des choux-fleurs livrés bruts sont forcément moins chers que les mêmes lavés, coupés et surgelés. » Enfin, les rations sont finement ajustées afin de valoriser les ingrédients un maximum et de ne pas jeter : « chez nous, les troncs de brocoli se mangent tout autant que les fleurs ; les orties, c’est bon et gratuit ».
Côté équipement, Raphaël a éliminé toute batterie de cuisine en aluminium et met de côté, au fur et à mesure, toute poêle en revêtement PTFE. « J’utilise un maximum l’inox et surtout je n’ai pas de micro-onde ! C’est pourtant monnaie courant dans bien des restaurants ; parfois, ils n’ont même pas la décence de mettre des portes qui isolent du bruit de la sonnette ! ».
« Ce qui me tient à cœur, c’est la transparence ; hormis le pain de table, je ne sers que du fait-maison : légumes, sauces, pain à hamburger, glaces… tout est confectionné sur place ». Les consommateurs se rendent-ils bien compte de la différence avec d’autres restaurants qui commercialisent chers des produits de revente ? Pas sûr, regrette Raphaël qui n’a « qu’une hâte, c’est que le bio devienne la norme et que le conventionnel, lui, soit estampillé « chimique ».
Propos recueillis par Gaëlle Poyade