En plus de produire des légumes, de la farine, des huiles… bons et sains, le provençal Gérard Daumas s’est aussi fixé pour mission d’entretenir la vie de ses sols et de protéger la ressource en eau. Pour cela, il utilise désormais le Bois raméal fragmenté (BRF).
Pendant 5 ans, Gérard Daumas a tâtonné, mais il a fini par adopter la technique du BRF sur les 13 hectares que compte sa ferme, située à Mane, dans les Alpes-de-Haute-Provence. “Je n’ai jamais consulté d’ouvrage traitant de ce sujet, pour éviter de fausser mon regard sur la méthode”, assure-t-il. L’agriculteur a choisi de travailler empiriquement, de juger par lui-même, à l’épreuve des faits, pour choisir la meilleure méthode, et l’adapter à ses terres, à ses contraintes, à ses cultures.
Derrière ces trois lettres : B.R.F., se cache un procédé – qui intéresse souvent les jardiniers amateurs, car assez facile à mettre en œuvre dans son jardin –, qui consiste “à valoriser les déchets végétaux par broyage, épandage et enfouissement superficiel, explique Gérard Daumas. Je m’approvisionne en déchets végétaux auprès des élagueurs, des agents d’entretien des espaces verts et de la déchetterie d’un village voisin.” Pour lui, la matière la plus intéressante reste les jeunes pousses d’arbres et d’arbustes. Une fois épandues sur les terres, elles seront attaquées par “les champignons du sol, de multiples espèces – citons notamment les dénommés “basidiomycètes” –, qui vont se développer et transformer cette matière organique brute en humus”. Bref, le BRF permet à la vie animale, microbienne et cryptogamique du sol de se développer, pour reconstituer les sols et les enrichir en humus stable.
Tout en direct
Installé en 1987, Gérard Daumas a choisi dès le début l’agriculture biologique avec le cahier des charges de Nature et Progrès. Il cultive 10 hectares de grandes cultures et 3 hectares de maraîchage, dont 1 000 m2 de serres verres. Lorsqu’il s’est installé, les champs ne comportaient ni arbre, ni haie… Il en a planté, tout en réduisant la taille moyenne de ses parcelles.
L’agriculteur produit des céréales (blé tendre et blé meunier d’Apt, une variété ancienne locale), des oléagineux (tournesol), des légumineuses (pois chiches et lentilles) et une cinquantaine de légumes (en petites quantités). Toute sa production est vendue en direct, principalement via les marchés de sa région (3 à 4 fois par semaine), mais aussi dans des petits magasins spécialisés et en restauration collective. Les légumes sont vendus en frais, le blé meunier est transformé en farine à l’aide d’un petit moulin, le tournesol en huile grâce à une petite presse ; les pois chiches et lentilles sont conditionnés manuellement dans des petits sacs de 500 g et 1 kg.
Économies d’eau
Pour l’agriculteur, le BRF permet d’abord un apport de matière organique très important : production d’humus, aération du sol, développement de la faune et flore… Un sol vivant, nourri, absorbe mieux l’eau de pluie, ce qui a deux avantages : un ravinement quasi nul en hiver même lors de fortes pluies, et un besoin moins grand en eau d’irrigation. “Dans cette méthode utilisée depuis longtemps au Canada, j’ai vu une piste sérieuse pour avancer rapidement vers des économies d’eau. Dans ma région de Haute Provence où l’eau est rare et précieuse, une telle action me semble porteuse d’avenir, écrit Gérard Daumas dans un document intitulé “Utilisation du Bois raméal fragmenté”, où il explique sa démarche. Il faut prendre conscience que les arrosages ne sont plus là pour faire boire la plante mais pour faire fonctionner un écosystème.” D’après Bio de Provence, la Fédération régionale de l’agriculture biologique qui a suivi de près l’agriculteur dans ses expérimentations, la poursuite de l’atelier BRF chez Gérard Daumas doit permettre une économie annuelle de 25 % d’eau !
Pour l’agriculteur, cette réduction de sa consommation d’eau fait partie des “effets secondaires inattendus”, au même titre que les économies de carburant : “Du fait de la facilité du travail du sol, ma consommation est passée de 3 200 l de fioul par an à environ 2 200 l en 2011, et ce malgré la consommation due au travail de broyage.”
Toujours expérimenter
L’introduction du BRF sur sa ferme a permis aussi de renforcer l’utilité de son travail : Gérard Daumas est devenu, de fait, un agent d’entretien de la nature ! “C’est aussi un moyen de se remettre constamment en question grâce aux découvertes successives que l’on fait sur le fonctionnement du sol.” Trouver plaisir à expérimenter, à regarder, à écouter vivre sa terre, avancer en autonomie… Voilà qui fait sens aux yeux de l’agriculteur. “Là où le BRF est vraiment innovant et intéressant, ajoute-t-il, c’est dans cette association qui se crée entre déchets forestiers et cultures. En plus, le BRF utilise des bois et essences locales, donc adaptées au terrain, et la proximité de la matière première permet de réduire les coûts de transport et donc, de limiter la pollution de l’air.” Tout est lié ! D’autant plus, envisage l’agriculteur, que “l’organisation du débroussaillage local des forêts permettrait la protection de celles-ci contre les incendies…”
Non content d’avoir abouti à un système BRF qui fonctionne, Gérard Daumas veut continuer à expérimenter. Il s’oriente maintenant vers une méthode développée en agriculture biologique – mais pas encore très connue : le semis dit “sous couvert végétal”, en grandes cultures et en maraîchage. Cette technique permet de passer moins souvent en tracteur dans ses champs. Elle consiste à semer, par exemple, du trèfle, au printemps, de le laisser grandir…, puis, à l’automne suivant, d’y semer directement du blé, sans travailler le sol. La consommation de fioul de Gérard Daumas devrait continuer à baisser !
L’observation du comportement des adventices, ces fameuses “mauvaises herbes”, fait aussi partie de ses objectifs : “Le BRF pourrait avoir un effet herbicide sur certaines plantes, parce qu’il reconstitue un sol de type forestier et que certaines plantes ne poussent pas dans la forêt.” À étudier de près !
Le déclic BRF
Au départ, c’est en se plongeant dans la lecture de revues de jardinage que Gérard Daumas a pour la première fois entendu parler de BRF. Ensuite, il entend à la radio, sur France Culture, une émission qui a fait date, où Jacky Dupetit expliquait comment il cultivait ses terres du Quercy en y épandant des branches broyées, et les résultats spectaculaires qu’il avait obtenus. À partir de là, Gérard Daumas réalise ses premiers essais “sur le jardin d’ornement, grâce à un broyage effectué par un élagueur dans les arbres du village.” Constatant que le BRF ne donne pas de résultats nocifs sur le sol et les plantes, il décide alors de “l’application de cette méthode sur une rangée de 40 mètres de poivrons sous abris, qu’il couvre de déchets végétaux incorporés au sol au fur et à mesure de la culture”. À partir d’août, il observe des “résultats spectaculaires sur le calibre des poivrons (jusqu’à 500 g pièce) et sur la qualité et la quantité de production, entraînant un tuteurage obligatoire car les branches cassaient sous le poids des fruits. Cette constatation a été le point de départ de la méthode que j’appliquerai jusqu’à la fin de ma carrière d’agriculteur en culture biologique.”