Après avoir essaimé en Norvège, le jardin comme outil thérapeutique fait des émules en France. Dans les hôpitaux, les centres de soin et les résidences pour personnes âgées, de plus en plus d’équipes soignantes s’appuient sur un petit carré de nature pour aider les patients à aller mieux.
Depuis une quinzaine d’années, l’association Belles plantes aide ceux qui souhaitent créer ce type de jardins. Anne Ribes, infirmière de formation et animatrice de l’association, a recueilli ses expériences dans le livre Toucher la terre : “Tout d’un coup, ces personnes qui vivent enfermées et qui n’ont plus le rythme des saisons, en leur installant un lieu adapté, vont se rebrancher avec la nature. Ce sont des personnes qui ont souvent des problèmes de sommeil, d’irritabilité parce qu’elles sont déconnectées, elles vivent des journées sans fin. Et là, les installer dans un lieu où il y a une vie, une vie rythmée par les plantes et les saisons, va leur permettre de se reconnecter avec des éléments naturels ancrés au fond d’eux et leur redonner un rythme et une envie.”
“Toucher la terre”
Les réactions les plus encourageantes seraient celles des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. “Lorsqu’on leur donne une plante, ils ne vont pas la planter à l’envers les racines vers le haut, explique Anne Ribes. Un jour, une femme à qui l’on a donné du thym ne se rappelait pas comment cette plante s’appelait mais était capable de l’épeler. Nous avons appris qu’avant, elle était secrétaire et qu’elle tapait à la machine. Cette façon naturelle de s’exprimer est donc ressortie.”
Avec les enfants autistes, il s’agit d’établir le contact par le biais d’un tiers, la nature et les sensations qu’elle procure. Depuis 1997, Anne Ribes anime un atelier à La Pitié Salpêtrière, un véritable rituel avec les enfants et l’équipe soignante. “Ouvrir le jardin, mettre les bottes, prendre la brouette dans la cabane avant de faire un tour du jardin pour savoir ce qu’il y a à faire. Il y a toujours quelque chose à faire même en hiver, en nettoyant, en donnant à manger aux oiseaux”, poursuit-elle. Dans les établissements accueillant des personnes âgées, on mise sur la présence positive d’enfants de classes de maternelles, comme au Jardin des âges, situé au service de gérontologie de l’hôpital Louis-Mourier à Colombes, dans les Hauts-de-Seine. Lors de ces ateliers d’une heure, les seniors partagent leur savoir avec les plus petits. Prochaine étape pour l’association Belles Plantes : concevoir un jardin dans un centre pour grands traumatisés dela Maule, dans les Yvelines afin de diminuer leur stress et de les stimuler.
Sortir de la chambre
Quand l’atelier semis, rempotage ou taille n’est pas possible, le jardin n’en est pas moins bénéfique par sa simple présence. Dans les centres qui traitent les malades de cancer, pas question de “toucher la terre” car les traitements entraînent une baisse des défenses immunitaires. Il y a pourtant une forte demande pour un petit carré de nature au sein de ces établissements de soin. C’est le cas au centre François-Baclesse de Caen qui a lancé le projet Océan vert (il est parrainé par le réalisateur Jacques Perrin) sur le modèle du Jardin d’été de l’Institut Bergonié à Bordeaux et de Graine de vie à l’Institut Curie de Paris. La demande est venue des patients et des soignants. Une enquête a été menée pour connaître leurs attentes : sortir de la chambre, moins penser à la maladie, pouvoir rencontrer sa famille dans un lieu agréable et moins choquant pour les enfants, bref ne pas couper le lien entre le patient et ses proches. Ce lieu agréable aide les malades à supporter des traitements lourds. Mais aussi l’équipe soignante qui trouve une vraie bouffée d’oxygène entre le bâtiment et le parking. Une étude est en projet pour évaluer l’impact de l’accès à ce jardin sur la qualité de vie du pensionnaire. Le jardin sera d’ailleurs ouvert aux professionnels et bénévoles pour servir de cadre à des ateliers “sport et cancer”, des goûters, des rencontres thématiques ou des expositions en plein air. Et à l’avenir, un atelier d’hortithérapie, comme il en existe déjà au Jardin d’été de Bordeaux, est envisagé, mais seulement pour les patients en rémission.
Comment créer un jardin à but thérapeutique
Il ne suffit pas d’un lopin de terre pour proposer un jardin à vocation thérapeutique. L’initiative, le suivi et la réussite du projet reposent essentiellement sur l’équipe soignante et sa disponibilité car c’est elle qui encadrera les ateliers. D’où un travail en amont avec elle, mais aussi un dialogue avec les familles et, si possible, les patients. Ensuite, il s’agit de concevoir un espace adapté aux pathologies : allées accessibles en fauteuil roulant, carrés de terre surélevés pour les personnes âgées, etc.
Créée il y a un an, la fondation Jardins, Art et Soin dispense une aide financière pour ce genre de projet. Elle met aussi en place une sorte de parrainage artistique entre des jardins privés ou publics et les futurs jardins thérapeutiques afin de développer également l’aspect esthétique.
Sa toute première réalisation se trouve en Bourgogne. Le Jardin des quatre saisons, parrainé par celui de Barbirey, a été aménagé au sein du Foyer de vie d’Auxonne, qui accueille des adultes fortement handicapés par des troubles du comportement et de la personnalité.
L’association Belles plantes s’appuie, elle, sur un large réseau et aide à faire mûrir les projets en formant les équipes soignantes pour qu’elles deviennent autonomes. Anne Ribes assure ainsi des interventions sur l’hortithérapie lors de colloques ou de symposium. Il est donc possible d’apprendre cette méthode bien qu’il n’existe pas de diplôme d’hortithérapeute. Un manque à combler pour valoriser davantage le travail des équipes soignantes et aussi développer ces jardins qui aident à soigner.
Christine Raout
Toucher la terre, Jardiner avec ceux qui souffrent, Anne Ribes, Éditions Médicis, un deuxième volume est en préparation : Soigner en jardinant.