Olivier Belval est apiculteur bio professionnel depuis 2002 à Banne, au sud de l’Ardèche, sur les pas de son père, l’un des pionniers de l’apiculture biologique. Il préside l’Union nationale de l’apiculture française depuis février 2011.
Comment évolue l’apiculture en France ?
L’inquiétude est de plus en plus vive, et si des décisions ne sont pas prises, on ira droit dans le mur. Selon les derniers chiffres datant de 2005, la France compte 69 000 apiculteurs, dont 1 780 professionnels. Un nouveau recensement est en cours, avec un fort recul du nombre d’apiculteurs en perspective. Les professionnels continuent à remplacer les colonies décimées, mais nombreux sont ceux qui baissent les bras, surtout les amateurs qui possèdent entre 1 et 10 ruches, découragés par la surmortalité angoissante que subissent leurs abeilles et l’effondrement de la production de miel. C’est un danger pour la biodiversité florale : la pollinisation, effectuée en majorité par les abeilles, en sera réduite. Les plantes sauvages vont en pâtir, mais aussi les fruits et légumes. Faute de pollinisation gratuite suffisante effectuée par les abeilles et bien d’autres insectes, notre régime alimentaire va s’appauvrir, au risque de dégrader la santé humaine.
Les causes de cette surmortalité seraient multifactorielles ?
Si, comme dans tout écosystème, plusieurs facteurs se combinent, l’Unaf – le syndicat que je préside, largement majoritaire puisqu’il regroupe 22 500 adhérents, dont 730 professionnels –, dénonce la vision de l’agriculture mise en avant par ce phénomène : l’agro-industrie, la monoculture, ainsi que dans certains pays, la pression des OGM, réduisent la biodiversité et le bol alimentaire des abeilles domestiques et sauvages. Celles-ci sont affaiblies, plus sensibles aux parasites, comme le varroa ; l’agriculture intensive, et son usage généralisé des pesticides, notamment d’insecticides systémiques diffusés dans les plantes par enrobage de semences, exposent les colonies à des doses sublétales répétées ; la mondialisation à outrance entraîne l’invasion d’espèces prédatrices comme le frelon asiatique ou le champignon parasite Nosema ceranae. Tous ces facteurs résultent d’une conception de l’agriculture et de la société peu, voire pas du tout respectueuse de l’environnement.
Quelles actions menez-vous pour réduire ces risques ?
Nous sommes toujours en alerte, et les récentes manifestions spontanées d’apiculteurs à Dijon, Agen ou Grenoble le prouvent. Même si les raisons de ce déclin des abeilles sont présentées comme multifactorielles par l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, il est évident qu’en France, cette surmortalité coïncide avec 1995, date de l’arrivée en agriculture des insecticides systémiques, notamment ceux de la famille des néonicotinoïdes. Il s’agit du Gaucho et du Régent que nous avons fait, en partie seulement, interdire. Mais pour combien de temps ? Aujourd’hui, ils sont remplacés par le Cruiser. Depuis 1995, les taux de mortalité sont passés de 5 % à 30 %, voir beaucoup plus. Et quand on interdit ces matières actives, comme l’a fait l’Italie il y a 3 ans pour le Cruiser 350, les taux de mortalité chutent aussitôt de moitié, ce qui est prouvé par une étude récente (1), sans faire baisser les rendements ! Ces néonicotinoïdes sont des neurotoxiques qui agissent sur le système nerveux central de l’insecte. À très faibles doses dans le nectar contaminé, ils perturbent les butineuses, qui s’affaiblissent, perdent leur capacité d’orientation, ne rentrent plus à la ruche et meurent.
Que réclament les apiculteurs de l’Unaf ?
Nous voulons des études indépendantes. Actuellement, les protocoles sont montés de façon biaisée et orientée. Lorsqu’il y a un problème de mortalité d’abeilles et que les analyses détectent la présence de molécules d’insecticide, la sanction est individuelle : le producteur utilisateur est incriminé pour des défauts de mise en œuvre de son produit, mais l’innocuité de la matière active n’est pas remise en cause. Les apiculteurs sont même accusés d’affaiblir leurs colonies par de mauvaises pratiques ! C’est un comble. La pression des lobbies de l’industrie chimique est très forte.
Quelques études existent cependant ?
Oui, et elles mettent à jour des effets synergiques, avec d’autres facteurs de mortalité. Ainsi, l’Université de Clermont-Ferrand, l’Inra d’Avignon et le CNRS viennent de montrer que des abeilles déjà affaiblies par le champignon Nosema ceranae succombent à de très faibles doses quotidiennes d’insecticides de la famille des néonicotinoïdes et aussi des phénylpyrazoles, à des seuils inférieures à celles déclarées létales. Cela montre que l’approche des fabricants de pesticides est pipée, car elle se base sur des abeilles saines. Les risques de synergie sont ignorés, même par l’Anses, qui émet ses avis avant la mise sur le marché, et d’ailleurs en toute opacité. Nous, les apiculteurs, sommes les derniers avertis !
Que disent les ministères, celui de l’Agriculture et de l’Écologie ?
Le ministre de l’Agriculture se dit attentif mais demande d’autres études… pour gagner du temps. Celui de l’Écologie est sensible à nos alertes, mais sans réelle marge de manœuvre dans un contexte où le Grenelle n’est plus, et de loin, une priorité. Notre combat actuel vise à faire interdire ces insecticides systémiques. Hélas, nous n’avons plus de voie juridique efficace pour y parvenir, puisque les recours auprès Conseil d’État, instance indépendante, ne sont plus possibles, depuis juin dernier, pour contrer les autorisations de mise en marché ! C’est pourquoi nous voulons accentuer notre action syndicale. Le Cruiser OSR, le nouvel insecticide systémique par enrobage des semences de colza de la société Suisse Syngenta, vient d’être autorisé en juin par le ministère. 40 % des semis de colza en terre cette année, soit 60 000 hectares, en sont imprégnés. C’est une catastrophe, car en plaine, la fleur de colza sert à la première miellée et à la multiplication des essaims.
En plus, l’autorisation du Cruiser 350 sur maïs (2) vient d’être reconduite…
Ce nouveau son feu vert est valable pour un an et renouvelable par tacite reconduction sur 10 ans… alors que le Conseil d’État avait jugé cette décision illégale pour 2008, 2009 et 2010. Mais ces annulations sont arrivées trop tard. Les néonicotinoïdes sur maïs sont très dangereux pour les abeilles car cette espèce est très visitée par les butineuses, non pour le nectar, mais pour son pollen. C’est le même problème avec les OGM, notamment la variété de Mon 810. Il est vital pour nos cheptels que la clause de sauvegarde d’interdiction de cultiver des plantes génétiquement modifiées en France soit reconduite. Et nous sommes très inquiets, car cette clause de sauvegarde vient d’être invalidée par la Cour de justice européenne pour des raisons administratives. La raison n’est pas environnementale mais cela montre la fragilité des décisions.
Quels risques les OGM font-ils courir aux abeilles ?
Le Mon 810 sécrète son propre insecticide, un handicap supplémentaire pour les butineuses. L’Argentine, 1er fournisseur de miel de la France est le 2e producteur de plantes génétiquement modifiées, surtout du soja. Et il n’y a aucune traçabilité. C’est un casse-tête pour les apiculteurs, comme ils l’ont dénoncé lors de leur dernier congrès mondial à Buenos Aires. Depuis le 6 septembre, dans l’Union européenne, tout miel contenant des OGM est légalement impropre à la consommation. Le problème, c’est que le maïs Mons 810, cultivé sur 97 000 hectares en Espagne, impacte forcément le miel par les traces de pollen, d’autant plus que la péninsule ibérique est le 1er pays producteur de miel en Europe. Les apiculteurs espagnols devront être indemnisés pour leur perte de revenus. D’où la nécessité d’interdire les OGM. À noter que la France importe la moitié du miel qu’elle consomme…
L’agriculture bio est-elle une réponse pour sauver les abeilles ?
C’est le mode de production le plus respectueux du vivant en préservant l’équilibre écologique. C’est cette agriculture qui sauvera l’abeille, maillon essentiel dans la chaîne alimentaire. Elle est notre sentinelle de l’environnement, et s’accommode d’ailleurs très bien en ville, en l’absence de pesticides, comme à Paris où nous avons placé des ruches. Il est urgent que les politiques prennent des décisions courageuses.
Propos recueillis par Christine Rivry-Fournier
(1) Étude Apenet, du réseau de surveillance des mortalités d’abeilles et des pertes de colonies en Italie.
(2) Cet insecticide vise à lutter contre le taupin, un des ravageurs du maïs.
L’apiculture bio en plein vol
Plus de 7 % de l’apiculture française est bio, avec près de 70 000 ruches conduites en respectant le cahier des charges européen de production bio. La France compte 360 fermes possédant des ruchers certifiés bio (chiffres Agence Bio 2010), soit un bond de 35 % par rapport à 2009. Les régions du sud, surtout Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Provence-Alpes-Côte-d’Azur sont, de loin, celles qui regorgent le plus de miel bio. Pas étonnant, l’agriculture y moins intensive, et la biodiversité florale plus généreuse, surtout sur les reliefs.