Comment s’habiller sans polluer ni exploiter l’autre bout de la planète ? À Valence, Les Halles Etic font fusionner mode et solidarité, en tissant de nouveaux liens. Pour Céline Chevalier, à l’initiative de cette boutique colorée et chaleureuse, le défi est de taille.
Dans le cœur piéton de Valence, Les Halles Etic ont ouvert leur porte fin 2011 : “un an déjà que nous offrons une alternative au prêt-à-porter industriel et jetable qui s’est répandu partout”, sourit Céline Chevalier, toujours prompte à partager ses convictions. Quinze ans passés à œuvrer dans une association de prévention du sida lui ont insufflé l’art du dialogue et, si la mode éthique n’a rien à voir avec son ancien métier, c’est aussi un engagement social et humain, “un moteur pour avancer”. À la perte de son emploi dû à la suppression des financements, elle choisit d’ouvrir une boutique de vêtements, chaussures et accessoires bio et éthiques : “cette aventure a pu voir le jour grâce à l’appui du groupe Archer, acteur de l’économie sociale et solidaire (lire en encadré), déjà impliqué dans le soutien à un magasin installé depuis quelques années sur Romans, au sud de l’Isère, confie Céline Chevalier. Cette aide précieuse, ainsi que la solidarité familiale et quelques coups de pouce de mes amis, m’ont permis de mener ce projet.”
Partager ses valeurs
Investie depuis toujours dans les réseaux associatifs, la nouvelle entrepreneuse tenait surtout à ce que son activité ait du sens. “Ancienne formatrice, je suis aguerrie à argumenter dans le respect de mon interlocuteur. La démarche n’est pas purement commerciale, elle correspond surtout à mes valeurs que je veux partager, sans essayer de les imposer.” Les Halles Etic sont parfois un lieu de débat, autour d’un thé, et Céline Chevalier met aussi de la documentation à disposition de ses clients, sur les labels écologiques, la démarche des marques, les techniques de teintures, leur nocivité… : “Face aux critiques concernant par exemple les marques fabriquées en Asie, il faut expliquer que le secteur textile ayant quasiment disparu en France, et en Europe, comment faire autrement, et à quels prix ?”. Informer sans faire culpabiliser, répondre aux objections sans provoquer de blocages, la mode bio et éthique bouscule les habitudes. “Dans mon magasin, aucun produit n’est là par hasard, tous ont une histoire à raconter.” Les marques doivent donner des garanties : respect de l’environnement et des humains, salaires et conditions de travail corrects, engagements sur le long terme… “Ce sont autant de raisons d’opter pour un vêtement sain et confortable.”
Du sens tendance
“Je veux aussi que mon offre soit très tendance. La mode bio et éthique ne signifie pas forcément de s’habiller baba-cool, en bonne sœur, ni de se déguiser en Incas ou en tibétain !” Pour Céline Chevalier, il faut avant tout offrir une gamme adaptée à chacun, de qualité, bien coupée, dans de belles et nobles matières, et avec de jolies teintes (qui ne délavent pas). Quant au prix, c’est aussi une source de débat que la fondatrice des Halles Etic ne refuse jamais d’aborder. “Ces vêtements et chaussures sont accessibles à tous, et je tiens à conserver une gamme de tarifs large. Nous proposons aussi quelques produits de destockage issus de la collection précédente, à des prix cassés. L’occasion pour le client de s’offrir une belle veste ou un tee-shirt de qualité, dont la fabrication respecte l’humain et la nature, sans risque non plus d’allergies ou autres toxicités.” Ainsi, certains clients aux revenus plus modestes sont devenus des habitués car ils savent que le rapport qualité-prix est excellent. “Nos produits ne sont pas plus chers que certaines enseignes de moyenne gamme, mais évidemment, difficile de s’aligner avec les franchises internationales agressives peu préoccupées par l’éthique sociétal et environnemental, même si elles ont quelquefois des références bio pour surfer sur la vague du greenwashing !” En lien avec Artisans du monde, Les Halles Etic ont même créé l’événement à Valence en organisant un défilé, pour mettre la mode éthique sous les projecteurs.
Christine Rivry-Fournier
Ses marques fétiches
Pour démarrer, Céline Chevalier a sélectionné quelques marques qu’elle affectionne particulièrement.
Sa chouchoute, Tudo Bom ?, s’inspire directement des tendances des défilés parisiens, jeunes et branchés. Les vêtements certifiés WFTO (World Fair Trade Organization) sont fabriqués au Brésil dans de petits ateliers de couturières rémunérées correctement, avec une couverture sociale et des commandes régulières. Le coton est bio et équitable cultivé au sud dans l’État de Parana. “Cette démarche a accompagné la conversion en bio de deux coopératives et, en tant que distributeur, nous sommes impliqués dans ce partenariat, car nous devons prépayer 25 % à la commande, une pratique peu répandue.”
Autre marque privilégiée : Ethos, également en coton bio et équitable ou en laine d’alpaga, avec des coupes très ajustées, valorisant la silhouette avec des matières souples, “alliant simplicité et originalité du détail qui fait la différence”, s’enthousiasme Céline Chevalier (1). Le style Ethos s’inspire des formes et des couleurs de la nature et se veut durable et intemporel.
Elle a également sélectionné Komodo, une marque anglaise colorée et élégante, à base de Tencel, chanvre, lin et coton bio. Kanabeach, conçue en Bretagne dans le Finistère, fabriquée à Hongkong, notamment à base de chanvre bio chinois, est présente aussi, très attractive par ses modèles inspirés de la planète surfeur. Plus locale, puisque lancée du sud de l’Ardèche, Bamboo’s faschion propose des modèles originaux, pas encore totalement en tissus bio, “mais issus d’une démarche relationnelle directe entre les deux créatrices, très engagées dans le commerce équitable, qui entretiennent des liens étroits avec les ateliers en Inde et en Thaïlande, mais qui ne peuvent pas encore payer des certifications”. Quant à Atelier Charlotte, c’est la marque d’une jeune créatrice installée à Romans, qui conçoit et coud elle-même des vêtements, des jupes confortables et personnalisées. “Il me paraît important de soutenir ces micro-incitatives locales, qui sont source d’emplois chez nous”, insiste Céline Chevalier, qui distribue aussi des créateurs locaux de bijoux et les chaussures Made in Romans et Elnaturalista. “Solides, solidaires et durables…”, telle est sa devise.
- Les Halles Etic distribuent aussi la marque “Vous êtes porteur de sens”, qui va hélas disparaître, suite à un dépôt de bilan de la société Ideo qui l’a créée il y a 10 ans.
Made in Romans, la chaussure de l’économie solidaire
Engagé dans l’économie sociale et solidaire, le groupe Archer initie et soutient des initiatives de création d’activités et d’insertion aux confins de la Drôme et l’Isère. Il est aussi à l’origine du lancement de Made in Romans, marque née des cendres du savoir-faire traditionnel – mais presque disparu – de cette ville autrefois spécialiste de la chaussure de luxe.
Grâce à l’appui de maisons prestigieuses comme Hermès ou Jourdan, le fondateur du groupe Archer, Christophe Chevalier, a pu mobiliser autour de ce pari, “pour garder un savoir-faire local pointu, et redynamiser le tissu économique”. Grâce aux anciens salariés des grandes marques romanaises, la récupération des machines et l’achat de matières premières locales et de qualité à moins de 20 km pour 80 % des besoins, une collection haut de gamme fabriquée sur place dans un atelier a pu voir le jour.