Formidables alliées de notre santé, les huiles bio invitent à un voyage de senteurs. Mais cameline, argan, œillet, lin… chantent plus qu’elles ne parlent. Quelles graines sont à l’origine de ces liquides précieux ? Sont-elles cultivées puis transformées près de chez nous ? De quelle manière ? Réponse en un tour de presse.
Commençons par un petit tour de France pour découvrir les “cultures à huiles” typiques, certaines traditionnelles, d’autres émergentes. Très facile à cultiver suivant le règlement bio, c’est-à-dire a minima sans engrais ni pesticides de synthèse, le tournesol arrive en tête des oléagineux bio, soit 13 409 hectares sur 1433 fermes en 2013. De fait, l’huile de tournesol est la plus produite et la plus consommée en France en bio. “Il y a très peu d’importations, atteste Diego Garcia, directeur général de Jules Brochenin SA, huilerie située à Tulette dans la Drôme. Et le rythme de consommation pousse à une augmentation de la production depuis 5 ans”.
Tournesol 100 % français
“Dès 1972, Émile Noël, fondateur de la marque d’huiles éponyme, a encouragé des agriculteurs à passer à la bio pour produire une huile de tournesol de qualité”, raconte Olivier Fabregoul, directeur commercial et marketing de l’entreprise gardoise. Aujourd’hui, cet engagement historique rassemble près de 150 producteurs dans la Vallée du Rhône et la région Centre sur environ 450 hectares. C’est l’une des cultures phare labellisée Bio Solidaire, marque de l’association Bio Partenaire. Dans la philosophie du commerce équitable, Bio Solidaire tisse des liens étroits entre cultivateurs et industriels français. Elle garantit aux producteurs une juste rémunération grâce à un engagement des entreprises de transformation sur des prix minimum, des volumes et pendant au moins 3 ans.
Tout aussi emblématique, la 2e huile la plus consommée est celle d’olive. Et 25 % des oliveraies sont bio, ce qui en fait la culture nationale la plus bio ! L’olive est cultivées sur 2863 hectares, une surface qui a plus que doublé de 2007 à 2010. De 2000 à 2005, dans les Alpes-de-Haute-Provence par exemple, une grande partie des oliveraies est passée en bio. “Des vignes ont été arrachées et des oliviers plantés à la place”, rapporte Lionel Brault, oléiculteur à Grasse. “Les plantations sont principalement situées en région Languedoc-Roussillon, dans les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse”, complète Alexandra Paris, responsable communication et économie à l’Association française interprofessionnelle de l’olive (Afidol).
En dépit de cet élan, les oliviers bio ne représentaient, en 2010, que 3,5 % du verger oléicole français. Ainsi, d’après l’Afidol, seules 200 tonnes d’huiles d’olive bio viennent de France. C’est peu. “C’est environ 5 % de la consommation française”, précise Alexandra Paris. Et Diego Garcia, de Jules Brochenin, de renchérir : “L’huile d’olive est importée des pays ayant des terres plus au sud et mieux adaptées à l’olivier bio : Italie, Espagne, Portugal et Grèce pour ce qui concerne l’Union Européenne, ensuite la Tunisie.”
L’olive prend la mouche
Outre le climat, les ravages de la mouche de l’olive expliquent la rareté de l’oléiculture bio française. Cet insecte pond ses œufs sous l’épiderme de l’olive qui finit par être trouée au moment où l’asticot veut en sortir. Les fruits oxydés sont immangeables. En bio, les moyens de lutte sont très limités et il n’existe pas de traitement curatif. Au Domaine de la Royrie, à Grasse, ce souci a freiné le passage à la bio. “Heureusement, une solution naturelle a été trouvée contre ce ravageur, témoigne le propriétaire du domaine, Lionel Brault. Dans la région, nous avons été parmi les 1ers à utiliser l’argile comme piège chromatique. Dotée d’une bonne vue, la mouche de l’olive repère de loin les oliviers. Pour la tromper, nous avons peint l’arbre avec de l’argile blanche, ce qui modifie l’aspect des fruits et des feuilles : la mouche ne le reconnaît plus !”
Fort de cette réussite, nombre d’oléiculteurs ont donc pris le virage du bio, suite logique à une démarche qualité. Car, comme le constate Lionel Brault, “les progrès qualitatifs ont été tels qu’aujourd’hui, on peut trouver quelques huiles d’olive haut de gamme, qui s’apparentent à des condiments précieux”. Ce virage vers la qualité, qui ne date que de 10 ans, a été soutenu par l’apparition des Appellations d’origine contrôlées (AOC) en huiles d’olive.
De Nîmes, de Corse, de Provence…
Toutes situées en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, les huit AOC obéissent à un cahier des charges strict qui impose des contraintes à l’oléiculteur comme au moulinier. L’exemple de l’huile d’olive de Nice en illustre les critères : on y décrit les arômes typiques, la variété (Cailletier), sa teneur en acidité. L’irrigation n’est autorisée que jusqu’à la véraison. Les olives doivent être récoltées au plus tôt à partir du début de la véraison, soit lorsqu’au minimum 50 % des olives sont couleur lie-de-vin, et doivent être stockées dans des caisses à claire-voie. La durée de conservation des olives entre la cueillette et la mise en œuvre ne peut excéder 7 jours. Le procédé d’extraction est purement mécanique sans échauffement de la pâte d’olive au-delà d’une température maximale de 27°C. Les seuls traitements autorisés sont le lavage, la décantation, la centrifugation et la filtration. Enfin, et c’est là tout l’intérêt, l’AOC renseigne sur le lieu de récolte et sur celui de trituration. C’est donc la garantie d’une production locale de A à Z.
Difficile colza
Parsemant les champs de ses pétales jaunes, le colza est devenu une plante familière de nos campagnes. D’ailleurs, au niveau consommation, l’huile de colza occupe la 3e place, aux côtés de l’huile de palme. Mais, “parmi les grandes cultures, c’est celle qui reçoit le plus d’insecticides quand elle est conduite de manière classique”, affirme Grégoire Gabillard, agriculteur bio à Combrée, dans le Maine-et-Loire. Le colza est très tributaire de la pression des insectes, notamment les méligèthes qui affectent le rendement, parfois de manière catastrophique.
De fait, il pose bien des soucis aux producteurs bio. Constatant l’inefficacité des insecticides naturels, Grégoire Gabillard n’intervient pas, espérant passer au travers des attaques. “Je vais essayer de semer de la navette sur les bords des champs pour que les insectes s’installent dans cette crucifère et n’aillent pas plus loin. C’est vraiment une culture emblématique des difficultés de la bio”, confie-t-il. Toutefois, une autre technique semble prometteuse. Il s’agit de mélanger deux variétés de colza dont l’une, plus précoce et semée seulement à 5 % des graines, va attirer la majorité des méligèthes et donc les détourner de la seconde variété. Quoi qu’il en soit, à ce jour, les cultures de colza bio sont loin de couvrir les besoins français, de sorte que la majorité de l’huile provient, pour l’essentiel, des pays de l’Est.
La noix, le lien au patrimoine
Outre l’olive, savez-vous quel est le fruit qui rafle le prix des surfaces bio en France ? La noix ! En 2010, d’après l’Agence Bio, elle occupe 17 % du verger bio français et ce chiffre va en augmentant. En effet, bien souvent, les arbres ne sont pas traités, ce qui aide à franchir le pas. C’est le cas de Christophe et Corinne Rigodiat, dont la Ferme aux escargots cohabite dans la Loire avec une activité huilière, l’Huilerie d’Urval. Cette dernière a comme ambition de valoriser les noyers déjà existants. “On a mis en place des contrats de métayages auprès d’une dizaine de propriétaires dont les noyers étaient à l’abandon. On réalise ainsi l’entretien de 170 arbres et on partage la récolte”, explique Christophe Rigodiat. Avec 80 % de la production, ils extraient 300 litres d’huile par an. Mais sans le label bio pour l’heure. Leur fonctionnement étant particulier – les noyers ne leur appartiennent pas et ne sont pas non plus situés sur leurs terres –, ils doivent trouver, avec les organismes certificateurs, une solution pour disposer du label bio sans mettre à contribution chaque propriétaire, ce qui serait long, compliqué et quasi voué à l’échec. À l’instar des cueilleurs de plantes sauvages, un aménagement est à organiser.
Du côté des artisans-huiliers, l’approvisionnement n’est pas toujours évident. “En général, les producteurs préfèrent se consacrer à la noix de bouche, dont le marché est plus lucratif, rapporte Olivier Fabregoul. Cela explique pourquoi ce n’est qu’en 2011 qu’Émile Noël a noué un partenariat avec une coopérative bio en Dordogne. En outre, pour faire de bonnes huiles, il faut de bonnes matières premières. Notre huile de noix, nous l’élaborons à partir de noix de bouche car elles présentent un cerneau entier, ni cassé encore moins réduit en miette, donc sans risque d’oxydation.”
Le nouveau venu : le lin
Seul pays européen ayant interdit l’huile de lin en usage alimentaire,la France l’a finalement autorisée en juillet 2010. La grande fragilité de cette huile qui, quand elle rancit, devient toxique, en était l’explication. Aujourd’hui, pour tirer profit de sa grande richesse en oméga 3 sans risquer de les altérer (ce qui nuit à la santé), des règles de conditionnement sont imposées : proposer des bouteilles complètement opaques (le verre teinté ne suffit pas), au format de 250 ml maximum avec une Date limite d’utilisation optimale (DLUO) de 9 mois. De plus, la bouteille doit avoir subi un inertage à l’azote (en chassant l’air, remplacé par de l’azote, on limite les risques d’oxydation). Enfin, après ouverture, l’huile ne se conserve que trois mois et au réfrigérateur.
À Bain-de-Bretagne, en Ille-et-Vilaine, Jean-Pierre Cloteau en cultive depuis des années : les graines intéressaient notamment les boulangers tandis que l’huile qu’il pressait était vendue dans les rayons bricolage pour nourrir les bois. Sitôt l’interdiction levée, elle a rejoint les huiles précieuses de germe de blé, d’œillette ou de bourrache. Mais ils sont bien peu nombreux à faire pousser cette petite fleur bleue dans un but alimentaire, la réputation textile du lin n’étant plus à faire.
Surnommée “lin bâtard”, la cameline ne manque pas d’atouts. Ses tiges servaient autrefois à confectionner des balais tandis que son huile, aux propriétés siccatives, était utilisée, avant l’apparition de la chimie “moderne”, en peinture et pour fabriquer du savon. S’il existe encore peu de références techniques à son sujet et des rendements assez hétérogènes, d’après Grégoire Gabillard, la crucifère est promise à un bel avenir car, tout en appartenant à la même famille que le colza, elle est beaucoup moins compliquée à cultiver. Sans compter qu’elle jouit d’intérêts nutritionnels supérieurs : elle est quatre fois plus concentrée en oméga 3 (34 %) que le colza (7 %).
Dès 2005, l’Huilerie Émile Noël a commencé à acheter ces petites graines jaune orangé et produire de l’huile sous contrat de culture, c’est-à-dire avant les semis, aux coopératives Cavac (qui avait notamment relancé la culture dans les années 1990) et Agralys. Aujourd’hui, 10 producteurs sur environ 80 hectares cultivent cette graine sous mention Bio Solidaire.
Surprises à venir
D’autres cultures vont prochainement s’inscrire dans cette démarche commerciale équitable sur le sol français. C’est le cas de la noix, du pépin de courge ou encore du chanvre qui réunit quelques producteurs. “Nous avons procédé à des essais de Chardon-Marie dans la Drôme, confiait, en 2012, Olivier Fabregoul. Cette plante contient de la silymarine, un composant intéressant sur le plan hépatique”. Dénuée d’usage alimentaire, elle est vendue sur le plan cosmétique. Car il n’est pas aisé de proposer des nouveautés dans les assiettes. Si l’huile de cumin noir, dont le goût épicé plaît bien, peut se targuer d’un usage ancestral en Égypte, ce n’est pas vrai pour toutes les plantes dont certaines sont vierges de référence. “Avant de sortir une nouveauté, il faut s’assurer que la plante dispose d’un certificat d’alimentarité, rapporte Olivier Fabregoul. L’huile d’Inca Inchi, une huile végétale péruvienne formidable, ne l’a obtenue que très récemment.” Entre volonté de valoriser le patrimoine de nos régions et freins techniques ou réglementaires, les huiles végétales ne suivent pas un long fleuve tranquille. Mais les marges de progression sont importantes pour peu que le consommateur plébiscite une origine la plus locale possible ou exige des garanties quant à un commerce responsable.
Gaëlle Poyade
L’onagre : une culture délicate
L’huile d’onagre, connue aussi sous le nom d’huile de primerose, a de nombreuses vertus. En particulier, elle renferme de l’acide gamma-linolénique (AGL), un acide gras de type oméga 6, qui réduirait les mécanismes déclenchant l’inflammation. Diabète, eczéma, syndrome prémenstruel, hypercholestérolémie seraient liés à un manque d’AGL. Or, l’onagre en met à disposition. Hélas, cette culture est peu développée en France, la petite fleur jaune nécessitant beaucoup d’attention. “Tout le travail est manuel, explique Nadine Aureille, agricultrice dans le Lot-et-Garonne qui extrait une huile vendue sur les marchés, les foires et à certains transformateurs en produits cosmétiques. La récolte se fait en octobre avec 5 à 6 cueilleurs : on coupe au sécateur les longues tiges, un peu comme des vendangeurs. La plante mesure de 1,20 à 1,50 m ; elle est couverte de graines de 30 cm à 1,10 m. Pour en recueillir un maximum, il faut bien prévoir le stade de récolte car les graines mûrissent du bas vers le haut. Si l’on arrive trop tard, les 1ères graines marron seront déjà tombées au sol. Et vu leur taille, il sera impossible de les récupérer”. Au final, Nadine Aureille n’obtient que 750 kg de graines sur 1 hectare. Le coût de main-d’œuvre et la petitesse de la graine expliquent le prix élevé de cette huile.